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Covid-19 – France, décide-toi : dissimulation du visage interdite ou obligatoire ?

Cachez ce visage que je ne saurais voir ! Conséquence de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, il est aujourd’hui recommandé de porter un masque, couvrant le nez et la bouche, dans l’espace public et dans les lieux affectés à un service public. Le port de ce masque est même rendu obligatoire dans certaines circonstances, notamment dans les transports en commun. Pourtant, il est par principe interdit de se dissimuler le visage dans l’espace public. Comment expliquer ces contradictions ? Doit-on masquer son visage, ou le découvrir ? Surtout, avec la crise sanitaire, le port du voile intégral serait-il à nouveau autorisé ?

Pour comprendre l’origine de cette contradiction française, il faut remonter dix années en arrière. En effet, le 11 octobre 2010, une loi est venue interdire la dissimulation du visage dans l’espace public. À l’origine de cette loi, le Gouvernement de l’ère SARKOZY, dont le seul dessein était d’interdire le port du voile intégral (la burqa), à connotation religieuse.

Dans un État brandissant le concept de laïcité comme bouclier à l’expression religieuse, le port de certains vêtements et accessoires était ainsi malvenu.

Toutefois, il semblait impossible pour le Gouvernement de l’époque d’interdire le seul voile intégral, une telle prohibition se heurtant nécessairement aux libertés d’opinion, de conscience et de religion, garanties aussi bien par le bloc de constitutionnalité que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

De quoi faire reculer le Gouvernement de François FILLON ? Que nenni ! Une solution était toute trouvée : interdire d’une façon générale la dissimulation du visage dans l’espace public, sans jamais désigner expressément le voile intégral. Ainsi est née la loi du 11 octobre 2010.

La prohibition du voile intégral dans l’espace public a donc été rendue possible par la création de dispositions législatives aussi hypocrites que pernicieuses. Et cette fourberie gouvernementale pourrait bien avoir un effet boomerang aujourd’hui.


René MAGRITTE – Les Amants – 1928

Que prévoit cette loi du 11 octobre 2010 ?

Article 1 : Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage.

Le législateur a évidemment pensé à des exceptions, et notamment :

Article 2.II. : L’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.

Autrement dit, à s’en tenir au texte, le principe est qu’une personne n’a pas le droit de dissimuler son visage en public. Elle ne peut le faire que dans certains cas, et notamment si l’État le permet ou l’y oblige.

Les politiciens et certains juristes peuvent se ranger derrière cette exception pour justifier la possibilité de se voir imposer le port du masque pour raisons sanitaires.

En toute logique.

Mais c’est sans compter sur l’article 4 de cette loi (ajoutant une nouvelle disposition au Code pénal), qui interdit la dissimulation forcée du visage :

Article 225-4-10, alinéa 1, du Code pénal : Le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.

Il convient de traduire cette hypocrisie latente du Gouvernement de l’époque en la remettant dans son contexte : l’article 225-4-10 du Code pénal a été créé dans le seul but de réprimer les hommes forçant leurs épouses à porter un voile intégral.

Mais parce que le Gouvernement n’a pas su être honnête et explicite, c’est bien « toute personne » qui est visée. Or, l’État est une personne, une personne morale de droit public. Donc l’État n’aurait pas le droit d’imposer le port d’un masque.

Ainsi, selon le Code pénal, personne ne peut nous imposer de nous masquer le visage. À s’en tenir au texte, pas même l’État. Ce qui apparaît être en contradiction totale avec les articles précédents.

Cette lecture des textes est uniquement rendue possible parce que le Gouvernement en 2010 a rédigé une loi que Tartuffe n’aurait pas dénigrée. Dans tous les cas, cette hypocrisie rédactionnelle met aujourd’hui en exergue toute l’ambivalence de la politique française, certains diront sa schizophrénie.

Pour autant, il apparaît peu probable que cette analyse soit aujourd’hui retenue, ne serait-ce que par nécessité de protéger la population d’un réel danger sanitaire.

Mais alors, si l’on estime que l’on peut être obligé à se masquer le visage, pourquoi interdirait-on le port du voile intégral, à l’aune de cette loi de 2010, qui ne cible à aucun moment la burqa de façon explicite ?

Illustration avant 2020 : une femme se trouve dans l’espace public, masquant son visage et son nez en conformité avec sa foi. Avant la crise sanitaire, il suffit aux forces de l’ordre de brandir la loi du 11 octobre 2010, sans même noter le caractère religieux de l’acte, pour relever qu’une infraction est constituée, et infliger une amende à cette personne.

Même situation en 2020 : depuis la crise sanitaire, cette même femme pourrait très bien arguer du contexte actuel, et de la préconisation de se masquer la bouche et le visage. Les forces de l’ordre ne pourraient alors pas la verbaliser, puisqu’elle invoque une raison sanitaire soutenue par l’État, et que ses libertés d’opinion et de religion sont constitutionnellement et conventionnellement garanties.

A priori, rien n’empêcherait donc une femme qui porte un voile sur ses cheveux, de le rabattre de façon à masquer son visage et sa bouche, si elle justifie vouloir se protéger du coronavirus.

Le législateur se serait donc laissé prendre à son propre piège…

Drôle d’époque que nous vivons en tout cas, où l’on veut nous interdire et en même temps nous obliger à nous masquer le visage.

Nul doute que le Covid-19 vient rappeler à la France que les textes de loi se doivent d’être clairs et explicites. De quoi donner des arguments aux pourfendeurs d’une République masquant sa volonté d’identité unique derrière un concept de laïcité dont elle n’est pas capable d’en définir clairement les contours.

Et si cette question du voile intégral refaisait surface, nul doute que les Orgon voudraient encore pousser Marian(n)e dans les bras de Tartuffe, arguant cette fois-ci de leur meilleur argument : l’ordre public.


Norman GODON-PATEL
15 mai 2020